Toujours pour le projet sur la maternité et l'attente, un texte très inspiré de notre séjour au Gabon.
Plus ça va, plus je m'éloigne de ma propre expérience. . .
P
Elle attend.
Elle attend sous le soleil écrasant de l'après-midi.
Elle est accroupie, au bord de la route et les puissants 4 X 4, à chaque passage, soulèvent un nuage de latérite qui se prend dans ses cheveux tressés.
C'est la saison sèche : elle ne risque pas d'être éclaboussée par les conducteurs qui, derrière leurs vitres fumées, derrière leurs lunettes aux verres fumés, ne semblent même pas l'apercevoir.
Devant elle, le plateau en fer bosselé, recouvert d'un tissu sombre au bord effrangé est posé à même le sol rouge.
Toute sa richesse du jour.
Quelques noix de cola, des arachides aussi qu'elle a achetés ce matin au marché.
Elle s'est mise en route peu de temps après l'aube. Elle a marché sur la piste pour rejoindre la grande route bitumée. Elle s'est postée sur le bord et a hélé un taxi blanc et rouge.
Elle est montée traversant le flot ralenti de voitures à l'approche du feu. Son enfant dans les bras.
Elle l'a partagé avec d'autres femmes, elles aussi mères, elles aussi vendeuses au coin de la rue.
Elle s'est assise dans la chaleur, étouffante malgré l'heure matinale, dans le vacarme de l'auto-radio et des klaxons incessants de ceux qui s'impatientent dans les bouchons. Elle a dû descendre du taxi, en reprendre un autre et à chaque carrefour, elle a regardé ceux qui s'installent sur le bord, vendeurs à la sauvette de bouteilles d'eaux, de sacs de bissap, berlingots à la couleur intense, de fruits ou de poissons. Des hommes remontent les files de voitures, agitant, au bout de leur bras tendus, leur marchandise : cartes de téléphone, journal local ou encore paquets de mouchoirs .
Descendue en toute hâte à l'entrée du marché, se dégageant des palabres entre une veille femme et un taximan, elle s'est procuré de quoi manger : herbes (folon ou oseille), poisson séché, foufou manioc et ce que contient ce petit plateau posé là, maintenant, à ses pieds.
L'enfant était alors dans son dos. Une fillette en âge de marcher, tresses qui s'enroulent sur son crâne. L'enfant dormait malgré le chaos du marché, malgré les cris, les ts-ts énervés des jeunes garçons qui poussent des brouettes de légumes dans les allées défoncées du plus grand marché de la ville.
Son enfant est toujours dans son dos, elle accroupie.
C'est une magnifique petite fille aux grands yeux noirs. Elle attend patiemment. A-t-elle déjà compris qu'il lui faut être sage, rester tranquille, contre les épaules rondes et satinées de sa mère, bien serrée dans le pagne. Dans le silence des mots et le vacarme des voitures.
A-t-elle compris qu'il en va de leur survie ?
Elle aussi, comme sa mère, attend que vienne la nuit et le chant des grenouilles pour retrouver la chambre qu'elles occupent dans une maison qu'elles partagent avec d'autres familles.